jeudi 10 novembre 2011

Mon séjour n'est pas un salon

Je n'ai pas de canapé, je n'ai pas de table basse, je n'ai pas de télé. Dans mon séjour, il y a: trois petits bureaux avec ordinateurs, une machine à coudre, une armoire pleine de matériel de dessin, peinture et bricolages divers, une étagère avec des livres et des jouets, et une grande table. Mon séjour n'est donc pas un salon mais plutôt une salle de jeu-bureau-atelier. Il reflète ce que les habitants de la maison, mes deux enfants et moi, faisons de notre temps libre.



Nous nous sommes fait une pièce sur-mesure, pensée pile poil pour ce que nous aimons faire, de manière à le faire au large, au beau et en compagnie: quoi de plus normal? Est-ce que tout le monde ne conçoit pas sa maison selon son goût et ses besoins? Tout le monde, bien sûr. Donc, si la majorité des séjours est un salon, avec canapé, table basse et télé, c'est parce que la majorité des gens, dans son temps libre, s'installe commodément pour zapper ou reçoit ses amis autour d'un verre. Comme dans Friends, par exemple.




Eh bien pourtant,  pas toujours.
Je vois des maisons où le salon, très beau et bien décoré, est à peu près toujours désert, tandis que les activités favorites des habitants se déroulent dans d'autres pièces. Typiquement, dans une famille, on met les jouets des enfants dans leur chambre. Ils grandissent; on y ajoute un bureau pour les devoirs, un ordinateur. Ils ne regardent pas les mêmes programmes que leur parents, chacun aura sa télé dans sa chambre. Les hobbies, —des grands comme des petits—, les chevalets de peintre, les guitares électriques, les vélos d'appartement, les établis de bricoleurs, etc. iront dans la chambre, dans un garage, un grenier, un placard, un coin où on ne les voie pas trop. —Enfin, on risque de les voir beaucoup dans cette pauvre chambre, qui était déjà plus petite et plus sombre. Mais le salon, lui, restera impeccable.

C'est vers le milieu du XXe siècle que tout un chacun s'est mis à posséder un salon. Avant, cette pièce de réception était l'apanage des demeures bourgeoises, tandis que les logis modestes n'avaient qu'une "salle" à tout faire. Est-ce cette origine élégante qui lui colle à la peau? On a eu beau ouvrir la cuisine dessus et y accueillir la technologie audiovisuelle, on continue à en bannir toutes ces autres activités.  Celles-ci se voient toujours reléguées à des pièces moins nobles, dans le même temps où le boom économique les rend toujours plus nombreuses.

Il y a plusieurs inconvénients à cet état de faits. L'un est un déséquilibre esthétique et pratique dans le logement: une pièce lumineuse et dégagée et d'autres trop pleines, gâchées dans leur apparence, et bien difficiles à nettoyer. L'autre, c'est que les gens ne sont pas ensemble.

On se plaint souvent des adolescents qui s'enferment dans leurs secrets, de la perte constante de la communication familiale. Mais comment s'en étonner, si chacun doit vaquer à ses occupations dans son coin? C'est bien de partager les repas, mais ce n'est pas toujours évident de transmettre toute son actualité personnelle dans ce contexte. Alors que si on est dans une même pièce en se livrant, qui à son hobby, qui à une tâche ménagère, on reste sans effort au courant de ce que fait l'autre, des difficultés qu'il rencontre, des fiertés qu'il remporte. Les enfants ont cet instinct et veulent toujours jouer à proximité des grands et leur montrer à tout bout de champ ce qu'ils font. Je crois que c'est une inspiration socialement très saine.

Une habitation ne devrait pas avoir de sanctuaire et de zone poubelle. Elle devrait tout entière être un sanctuaire, car chaque activité des occupants devrait être respectée. Ce qui signifie lui donner la place, l'équipement et la sociabilité qui lui convient par rapport aux autres.

Les pièces de la maison sont définies par l'activité qu'elles hébergent: la salle de bains pour se laver, la cuisine pour cuisiner, la chambre pour dormir. Le séjour en a une plus ouverte, c'est celle où l'on passe son temps. C'est la plus grande et la plus claire, pour que vous y fassiez ce qui vous tient le plus à cœur. Alors, pour vous, qu'est-ce que c'est? Voulez-vous y manger, y recevoir? Y faire de la musique, de la couture, de l'ordinateur? Tout ça à la fois? À vous de voir quelles activités y seront bien, et lesquelles seront mieux ailleurs. Sans a priori et sur mesure.

2 commentaires:

  1. L'important, c'est la fonction en effet... Si ta pièce n'a pour ainsi dire pas d'utilité fonctionnelle, elle n'existe que très peu dans ton espace mental, et ton appartement rétrécit donc. A l'heure où le m² se fait rare, ne pas donner de réelle fonction à une pièce est un vrai luxe ou une bêtise. Mais que c'est bon de se prélasser dans un canapé! Pour avoir vécu dans des conditions où ce meuble n'existait pas, j'avoue avoir été assez heureuse de retrouver cet élément de la vie occidentale...!
    Mes souvenirs enfant avec toi ont été dans la cuisine autour d'une table ou dans la chambre, mais jamais dans ton salon.... Peut être aussi que ce lieu un peu sacré est le lieu des adultes auquel les enfants ont accès que lors des réceptions, lorsque les adultes les invitent. Et les adolescents l'occupe quand les parents ne sont pas là, histoire de dire qu'eux aussi, veulent entrer dans le cercle de ce lieu réservé... Alors, pourquoi le salon ne serait pas, dans sa bizarrerie, un lieu pour l'éducation?
    Pauline

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  2. Merci Pauline, pour ces observations, venant à la fois d'une professionnelle et de quelqu'un dont j'ai toujours apprécié l'opinion!
    Note que je ne rejette pas le canapé, hein! Si j'avais la place, je serais ravie. Mais il fallait définir des priorités...
    Le séjour est certainement un lieu pour l'éducation, dans tous les sens qu'on veuille lui donner: qu'il soit comme ici une sorte de salle d'activités supervisées (je sais que les déscolariseurs en ont souvent une comme ça), ou qu'il soit plus classiquement, un domaine adulte que les enfants appréhendent petit à petit...

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